Camille Papin Tissot, Pionnier de la TSF (Partie 1/3)
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Dans le petit monde des pionniers de la TSF, il existe un personnage qui tient une place à part. Officier de marine « républicain » donc atypique, mais aussi savant désintéressé et père de famille attentionné, Camille Papin Tissot est celui qui amena la TSF en France,consacra la plus grande partie de sa vie à ce média, et fut oublié, après sa mort, de manière incompréhensible …. Ou bien trop compréhensible !
Je vous propose donc de vous faire parcourir quelques tranches de vie de ce scientifique.
Nous sommes à une époque où l’éther est encore silencieux, à peine troublé par les petits signaux de Hertz … Mais cela ne va pas durer. En route !
Camille Tissot est né à Brest le 15 octobre 1868, dans une famille bourgeoise et protestante, d’un père officier de marine et d’une mère d’origine Brestoise. La famille Tissot, de fait, est une des plus anciennes de la ville du Ponant.
Une scolarité sans histoires à Brest lui permettra de passer ses grades universitaires et de se voir récompensé de deux licences : une de physique et une de mathématiques, les deux avec mention du jury.
Recommandé par son père, lui-même lieutenant de Vaisseau chaffustard, Camille Tissot décide d’embrasser la carrière militaire et entre brillamment à l'école navale en 1884.
Il suit son parcours sur le navire école « Borda » jusqu’en 1886, et dans les premières années de sa carrière,
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il voyage beaucoup sur différents navires, puis peu intéressé par la science de la navigation, il met définitivement sac à terre le 23 Janvier 1891
pour prendre sur le « BORDA », à titre provisoire, une des chaires de physique.
En fait, de prolongation en
prolongation, puis avec sa titularisation, Il l’occupera jusqu’en 1912 , ce qui lui
permettra de se consacrer à sa vraie passion : la recherche et l’expérimentation de nouveaux systèmes.
C’est donc en qualité d'officier professeur à l'école navale qu'il se consacre, à partir de 1896, à l'étude des oscillations électriques et à leur application dans le domaine maritime. Il fait d’ailleurs participer ses élèves de l’école navale à ses expérimentations, et il y gagnera le surnom affectueux de « petpétard » en référence au bruit des étincelles.
Un témoignage très touchant est celui de Maurice Guierre, qui fut son élève à l’école Navale. Guierre était un officier radio, et un vaillant combattant de la seconde guerre mondiale. Dans un de ses livres « Les Ondes et les Hommes », il fait ce portrait de son professeur :
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« … Comme beaucoup d’officiers de vaisseaux, Je dois mon initiation Hertzienne à mon grand aîné, le lieutenant de vaisseau Tissot. … Ce petit homme au nez en éperon et à la barbe en collier était, autant que savant, étourdi : planté devant le tableau noir, il avait vite fait de le recouvrir d’équations blanches et nous laissait tout pantois de son savoir. La seconde d’après, il s’enfonçait dans une profonde méditation, ne se manifestant plus que par le frottement, vingt fois répété, de son bâton de craie le long d’un trait vertical : ses auditeurs, il les avait oubliés …
Puis, comme un rire montait dans l’amphi, Tissot revenait sur terre, poussait un « Aouha !» devenu légendaire et recommençait à nous exposer ses conceptions. »
La TSF opérationnelle semble débuter en 1890, lorsque, en étudiant la conductibilité des limailles métalliques, M. Branly, professeur à l'institut catholique de paris, découvre un appareil beaucoup plus sensible que le résonateur de Hertz pour déceler les ondes électriques : le radioconducteur.
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Mais pas plus Edouard Branly que d'autres qui s'y essayèrent ne furent à même d'expliquer scientifiquement ce qui se passait dans ce fameux tube quand il était mis en présence, de façon indirecte, d'une onde électrique. L’explication la plus plausible apparaitra seulement en …
1986 !, sous la plume d’une équipe du CNRS (contacts imparfaits).
M. Lodge (en 1895) reprend les expériences de Branly il donne à ce dispositif le nom très contesté de « cohéreur ». Branly ne veut pas de ce nom car « il n’y a aucune cohération », et insiste pour conserver le nom de « radioconducteur».
Quoi qu'il en soit, c'est ce dispositif qui sera le premier détecteur utilisé dans l'épopée de la TSF, pour déceler les ondes radioélectriques.
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A noter que, jusque-là, personne n’a eu l’idée d’utiliser le tube de Branly pour transmettre un signal. Il a servi tout au plus d’instrument de laboratoire, et, pour la partie opérationnelle, de détecteur d’orage …
Si, dans la France de 1896, alors que les travaux de Lodge et de Marconi concernant la TSF sont neufs et encore très peu connus, les physiciens maîtrisent parfaitement la fée électricité et connaissent les ondes lumineuses, peu de scientifiques s'intéressent sérieusement à la T.S.F, et notre jeune officier de marine, Camille Tissot, est l’un des leurs
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Atelier de Ducretet à Paris. Fabrication des bobines de Ruhmkorff
Il reprend, seul puis avec ses élèves de l’école Navale, les expériences de Hertz et de Branly pour poursuivre, sur le « Borda », des recherches parallèles et indépendantes.
Il construit lui-même son matériel de TSF avec l’aide d’E. Branly pour les radioconducteurs, et du constructeur parisien Ducretet pour les appareils, pour qui il les mettra au point.
Ducretet possède à Paris un atelier de construction d'appareils scientifiques de notoriété internationale qui le rend quasi incontournable. Ses clients sont les laboratoires et les Universités du monde entier, il est donc au courant de toutes les recherches en cours, et, surtout, il est le seul à pouvoir faire le lien entre les travaux des uns et des autres …
Il est de plus doté d’une solide formation scientifique, entouré d’ingénieurs très compétents, et il lui est aisé de comprendre, essayer et même améliorer pour ses propres essais les appareils qui lui sont commandés.
A cette époque, Tissot travaille, depuis des années, sur un système secret de communication par lumières polarisées (les signaux émis ne sont visibles qu’avec des jumelles à verres spéciaux polarisés de la même manière que les verres émetteurs)
Tissot tente par ce moyen de résoudre le problème de la communication, de nuit, avec l’escadre au mouillage : Comme il n’est pas possible de l’identifier de façon certaine, toute embarcation qui approche des navires dans la pénombre doit être détruite. L’escadre est ainsi coupée du monde du crépuscule à l’aube, avec tous les inconvénients et dangers que cela représente.
En plus de ses travaux de terrain, étudie depuis quelques temps les expériences de Hertz car il pressent là une alternative possible aux signaux lumineux.
Et puis le marin brestois a forcément été marqué par la catastrophe du
« Drummond Castle » qui, en juin 1896, s’est perdu dans les brumes ouessantines et a naufragé en faisant 360 morts et 3 survivants. Je ne peux m’empêcher de penser que, lorsque qu’il débute ses travaux sur les ondes radio en tant que transmetteur de signal, il y a dans un coin de sa tète l’idée que la transmission de signaux sans fil résoudrait bien des problèmes de sécurité nautique.
Mais Tissot, qui a des idées qu’on dirait aujourd’hui « communistes », n’est pas seulement ce brillant scientifique : c’est aussi un humaniste convaincu et engagé, qui milite pour l’éducation populaire.
Ainsi, aux alentours de 1892, à Brest, avec un groupe d’amis professeurs et officiers dont Baptiste Jacob, le « philosophe du Goelo », il projette d’installer dans ce port une université populaire qui finira par voir le jour quelques temps plus tard.
En attendant, ils donnent à tour de rôle des cours du soir. Mais la mairie, conservatrice et frileuse, peine à leur trouver un local. C’est en définitive le curé de Saint-Martin qui consentira à prêter à ces « rouges » une salle de cours pour y enseigner leurs cours !
En 1894, une partie de cette même équipe participe à la fondation d’un journal hebdomadaire Brestois (« Le Breton Socialiste ») qui paraîtra sur environ 6 mois (22 numéros) et sera la scène de joutes épistolaires d’anthologie entre la rédaction et l’Amiral Réveillère, chrétien autarchiste aux idées bien trempées.
En 1894, Tissot épouse à Brest la fille d’un notable Brestois, Jeanne Stapffer. Parmi les invités à sa noce figure Marcel Cachin, dont on reparlera beaucoup en 1920, mais qui est pour l’instant un ami très proche.
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De cette union naîtra une fille unique, que son père adorait, Camille Jeanne.
A noter qu’au décès de Tissot, et suite à une pétition unanime du monde scientifique, Camille Jeanne obtiendra du président de la république, par faveur exceptionnelle, l’autorisation de porter, accolé à celui de son mari, le nom de son père,
faveur qui sera transmise jusqu’à ce jour.
Pour revenir à la T.S.F., En 1896 environ, également, un savant Russe a lui aussi fait des prouesses de son côté. Il s’agit d’Alexandre Popov, professeur de physique à l’université de Saint-Pétersbourg, qui a lui aussi repris les travaux de Hertz et Branly. Il a réussi à établir « sans fils » plusieurs réseaux qui relient des îles isolées et utilise lui aussi les radioconducteurs de Branly.
Ses travaux ont été publiés devant l’académie des sciences Russes et dans les journaux scientifiques de ce pays. Hélas pour lui, ils ne seront publiés que dans ce pays pas vraiment ouvert à l’époque, et surtout uniquement en langue originale, ce qui fait que le reste de la communauté internationale mondiale n’en sera informée que bien plus tard.
Fin 1897, Ducretet qui, par son réseau, a eu vent des expériences de Popov, le contacte par courrier. Popov lui répond le 29 janvier 1898 et lui envoie un exposé traduit, complet et illustré de ses publications à l’académie de 1895.
Début 1898, Tissot estime qu’il est temps de passer aux travaux pratiques. Il fait de nombreux essais à partir du navire-école. La première mention faite à des appareils en rapport avec la TSF, dans les cahiers d’expériences de Tissot, est datée du 18 février 1898 : il décrit le premier oscillateur type Righi
qu’il ait lui-même monté dans son laboratoire. Or, la description précise de cet appareil et les pages suivantes du cahier d’expériences montrent qu’il réfléchit à ce système depuis longtemps déjà.
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Essais de 1898 entre le« Borda » et le sémaphore de Brest
Le 3 aout1898 enfin, à Brest, avec du matériel qu’il a construit lui-même, il établit, devant le ministre de la marine, la première liaison radio opérationnelle Française, sur 1800 mètres environ, entre le « Borda » et le sémaphore du port.
Le ministre, enthousiaste, lui promet des moyens pour s’engager plus avant. A noter que cette transmission historique a lieu plus de 3 mois avant la célèbre transmission Panthéon-Tour Eiffel de Ducretet.
Question de budget publicitaire, sans aucun doute !
Ducretet, vite informé par son réseau de la démonstration brestoise et des finances disponibles, prend contact avec Tissot et propose de lui fabriquer des appareils, en réalité issus des indications de Popov. Hélas les appareils de Ducretet sont peu performants, et Tissot doit les modifier profondément sur le terrain pour les rendre utilisables.
Branly, de son côté, viendra plusieurs fois à Brest pour amener à Tissot des tubes radioconducteurs élaborés en commun.
Néanmoins, grâce à ce matériel, Tissot commence en 1899 une campagne d’expériences en mer d’Iroise, en utilisant tous les amers disponibles, comme, de façon très cocasse, le clocher de l’église Saint-Martin de Brest, pour réaliser des communications par ondes
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Hertziennes, d’abord entre différents points de la rade de Brest et l’église Saint Martin, puis jusqu’à l’île Vierge (Plouguerneau) et le Stiff (Ouessant). Il établit également le contact « sans fils » entre l’île d’Ouessant et le continent, créant, de fait, la première station de TSF qui ait été installée en France.
Cette station deviendra la célèbre « FFU - Conquet Radio», active jusqu’en 1943 puis déplacée au Conquet après la guerre.
Suite à cette campagne d’essais, Tissot publie au bulletin des travaux des officiers un rapport d’un intérêt historique remarquable, dans lequel il décrit ses travaux et expériences à travers la rade de Brest.
Il y émet des réserves, à plusieurs reprises, sur la qualité de certains travaux de Marconi.
A l‘époque de l’écriture de ce rapport, la TSF en tant que moyen opérationnel de communication n’a même pas 18 mois …
Pour la petite histoire, les travaux de Tissot utilisant l’église Saint-Martin méritent un petit aparté.
Cette église est située sur les hauteurs de Brest, ce qui fait que depuis son clocher, et même depuis la rue Jean-Jaurès à proximité, on a une vue très dégagée jusqu’à l’horizon sur le goulet de Brest, les phares qui le jalonnent, mais aussi sur la grande rade et sur bien des points que Tissot compte utiliser comme stations d’essais. Cette église est d’autre part entourée d’une rue bordée de maisons.
Tissot pressentait déjà, suite à ses essais à bord du « Borda », que
l’orientation du fil d’antenne modifiait les portées et la sensibilité des
récepteurs. Aussi, il décida d’installer une antenne filaire entre le clocher d’un côté, et les maisons alentours, à tour de rôle, pour changer d’orientation.
On imagine la stupeur d’une part des « Suisses» et du curé de l’église à qui furent soumise cette demande, mais également celle des habitants alentours, sollicités pour essayer un dispositif inconnu et auquel ils ne comprenaient rien … Stupeur bien restituée par les journalistes de « La dépêche » .
Tout cela finit enfin par se mettre en place, mais, comble du blasphème, le seul point d’ancrage solide qu’on trouva dans le clocher était le centre de la croix, sur laquelle on s’empressa de frapper une poulie pour tendre
l’antenne.
Cette affaire défraya la chronique locale, plutôt pieuse, durant quelques mois, puis on démonta et tout rentra dans l’ordre. Reste néanmoins un souvenir de cet épisode : parmi les élèves de Tissot figurait un certain Charles Millot, qui deviendra le célèbre illustrateur Gervèse. Et qui dessine, à cette occasion, un tableau montrant l’équipe se rendant à l’église Saint- Martin avec son matériel, accompagné d’une copie du texte de l’article de
« La dépêche », pour en faire cadeau à son professeur.
Source Jean Luc fournier - famille Tissot / ACHDR - D.Bottin)
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