La T.S.F. des amateurs dans les années 1900
18 juil. 2024A découvrir, un article très intéressant réalisé par Roland Guillaume membre de l'ACHDR.
En ces années-là, disons de 1900 à 1910, la T.S.F. se limitait à la télégraphie. Elle était sortie des laboratoires au début du siècle et se répandait doucement autour de la Terre, dans quelques centaines de navires sous la forme d'émetteurs à étincelles plus ou moins musicales et dans des stations de plus en plus puissantes, de plus en plus visibles à cause de leurs grandes antennes filaires tendues entre des pylônes qui se donnaient des airs de Tour Eiffel. Le grand public voyait ces antennes mais comme il n'en voyait rien sortir, il n'y prêtait pas longtemps attention. Dans les journaux, on lisait de temps en temps un tout petit article où la TSF était impliquée mais sans détails techniques comme, par exemple :
- « D'un télégramme transmis hier matin à la tour Eiffel par l'amiral Philibert... » (Le Petit Parisien 02/02/1908)
- « L'orage qui s'est abattu avant-hier sur l'Angleterre a démoli la tour de télégraphie sans fil de Maerahanik. La tour était une construction en fer tubulaire de 160 mètres de hauteur... » (Le Temps, 08/12/1906).
Pas grand-chose de plus dans les périodiques. Et même si le magazine La Nature du 3 avril 1909 publie la description d'un « poste militaire de campagne » constitué de deux charrettes : la « voiture-poste » et la « voiture groupe électrogène », le schéma théorique de l'émetteur et du récepteur ne peut être d'une grande utilité à un amateur qui voudrait reproduire l'expérience de Marconi. Pas de revue « grand public » consacré aux ondes hertziennes et à leurs applications, donc, il faut se tourner vers les publications professionnelles. La première à laquelle on pense est La Lumière électrique qui, comme son nom ne l'indique pas, consacre fréquemment de longs articles à la T.S.F. Bourrées de formules et de démonstrations mathématiques, la « Lumière » n'éclairera guère l'amateur. Les Comptes rendus de l'Académie des Sciences sont bien plus abordables.
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Du côté des livres, Les Applications pratiques des Ondes électriques d’Albert Turpain publié en 1902 est peut-être le plus utile pour l’amateur de TSF, pourtant on a du mal à imaginer qu’il va l’inciter à bricoler ou à se présenter chez Ducretet pour acquérir le matériel nécessaire pour produire et recevoir des ondes électriques. De temps en temps, le texte d'une conférence donnée par un spécialiste aux membres d'une association est publié dans un bulletin annuel. Même si la diffusion du document est généralement restreinte, elle peut toucher des amateurs en quête de tuyaux pour câbler un récepteur à cristal ou installer une antenne. Mais, là encore, la vulgarisation restera dans le cadre large mais peu pratique des généralités. La conférence de M. Edmond Rothé, professeur à la Faculté des Sciences de l'Université de Nancy, sur L'état actuel de la Télégraphie sans Fil et ses applications scientifiques donnée à Nancy le 15 mai 1911 a été publiée dans le Bulletin de la Société industrielle de l'Est ; c'est un exposé fort intéressant quoi que, d'un point de vue pratique, le schéma apparemment fort simple du récepteur utilisant un détecteur électrolytique ne peut être d'une grande utilité au bricoleur de 1911. Mais les choses vont changer.
En 1911, la nouvelle station de la Tour va se mettre à diffuser deux types d'informations utiles au citoyen ordinaire : l'heure exacte (23 mai 1910) et un bulletin météorologique sommaire (début octobre 1911). Bien sûr, c'est de la télégraphie, en morse, mais les essais de transmissions en radiotéléphonie effectués depuis quelques temps soulèvent des espoirs énormes. On sait qu'il faudra encore une décennie et une Grande guerre pour que la radiodiffusion pour tous soit une réalité mais il n'en faut guère plus pour que les plus entreprenants des passionnés de sciences et de technique se lancent dans la recherche des informations et du matériel pour construire leur propre récepteur et tendre une antenne entre un arbre et deux cheminées. Et c'est ainsi que des passionnés de vulgarisation et de TSF ont proposé aux éditeurs des opuscules destinés à un public averti, certes, mais capables de passer à l'acte sans mathématiques, sans outillage spécial, sans appareils de mesure et sans matériaux introuvables. On peut en retenir trois :
- Lucien FOURNIER et La Télégraphie sans Fil chez Garnier Frères (1912)
- Le docteur Pierre CORRET et sa Télégraphie sans Fil extrait du Cosmos de Octobre et Novembre 1912
- Franck DUROQUIER La Télégraphie sans Fil pour Tous chez E. Orlhac (été 1912)
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Le premier est le plus théorique, il complète bien les deux autres, avec des généralités, des explications, des historiques, des documents. Il ne donne pas la longueur d'onde du poste de Boulogne-sur-Mer mais il montre au lecteur à quoi ressemble son antenne. Il explique, sans toutefois rentrer dans les calculs, comment les signaux horaires émis par la Tour Eiffel permettent au marin de déterminer sa position avec une très grande précision, mais il ne donne pas la méthode pour régler sa montre. Ce n'est pas grave car le docteur Corret est là qui explique minutieusement dans les 120 pages de son petit livre comment distinguer le signal de la station anglaise de Cleethorpes de celui de Norddeich (Allemagne) et à quelle heure le poste allemand transmet aux navires son bulletin d'informations. On apprendra aussi comment déchiffrer, c'est à dire traduire en bon français les groupes de chiffres représentant la direction et la vitesse du vent à La Corogne ou à Ouessant. Cependant les schémas de récepteurs qu'il donne en prime ne seront d'aucun secours au bricoleur qui devra débourser les 3 francs du petit livre de Duroquier.
Franck Duroquier, comme ses deux collègues, s'adresse à un lecteur totalement ignorant des principes et des applications des ondes hertziennes mais il a en plus la ferme intention de faire du débutant un praticien convaincu grâce à des explications simples, complètes et suffisantes pour limiter les risques d'erreurs de réalisation ou de mauvaise utilisation. Les exemples qu'il donne de réceptions possibles avec tel matériel ou telle antenne incitent le lecteur à passer à l'acte, les montages qu'il décrit sont éprouvés et surtout parfaitement reproductibles, il les a réalisés lui-même (c'est la moindre des choses...) mais il les a fait aussi réaliser par des personnes sans compétences particulières. Duroquier est un personnage, inventeur et pédagogue, il est animé par la curiosité, la passion de créer et le besoin de partager. Il sera un vulgarisateur prolifique dans les années qui suivront la Guerre.
(Source ACHDR - Roland Guillaume F5ZV)
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