Les premiers signaux horaires (1)
27 mars 2025Je vous laisse découvrir cette très intéressante série de deux articles consacrés aux signaux horaires réalisée par Roland Guillaume F5ZV, membre de l'ACHDR.
Le 23 mai 1910 la station de la tour Eiffel commence la transmission régulière et officielle de signaux horaires destinés aussi bien au marin et à l’arpenteur perdus au milieu des grandes étendues d’eau ou de sable qu’au citoyen ordinaire. C’est le début d’une grande tradition encore bien vivante aujourd’hui qui permet d’entendre encore - 125 ans plus tard et à l’heure d’Internet, du GPS et du GSM - des signaux horaires radiodiffusés sur les ondes les plus longues[1] jusqu’aux ondes les plus courtes.
Mais reprenons cette belle histoire à son début en commençant par faire le point.
Détermination de la longitude
Avant l’invention des trains, disons avant 1850, à part les astronomes et les marins, peu de monde se préoccupait de connaître l’heure avec une grande précision. On vivait à l’heure locale, celle qui cale midi sur le passage du soleil au sud et la journée de travail durait ce que durait le jour. Pourtant, dès le 18e siècle, les marins réclament un moyen d’emporter sur les mers lointaines un garde-temps, autrement dit un chronomètre ultra-stable, qui leur permette de connaître avec une précision maximum l’heure de l’endroit de la planète dont ils connaissent la longitude avec précision : celle du méridien de Paris, par exemple. En mesurant avec le plus grand soin l’heure (à leur chronomètre) de passage du soleil au sud (midi solaire), il peuvent alors, par des calculs simples, convertir le décalage horaire en décalage angulaire et savoir sur quel méridien ils se trouvent. La fidélité du garde-temps est primordiale ; à l’équateur, chaque minute (de temps) correspond à près de cinq kilomètres d’est en ouest ; et les voyages au long cours duraient des semaines en ces temps anciens. Au début du 19ème siècle les horlogers savaient fabriquer des chronomètres de marine de grande qualité mais qui coûtaient fort cher et il était souhaitable d’en emporter deux (ou trois) en cas de panne et pour faire une moyenne. L’incertitude sur sa position pouvait conduire un navire à la catastrophe ; bien des naufrages sur des rivages pourtant bien localisés sur les cartes n’avaient pas d’autres causes. Bien localisés ces récifs, ces îlots voire ces îles importantes, surtout en dehors des routes les plus sûres ? Pas sûr, et les géodésiens, les géographes, les explorateurs des mers et des terres inconnues, bref, ceux qui dessinent les cartes, rêvaient eux aussi du garde-temps parfait.
/image%2F2155287%2F20250323%2Fob_46a05d_fig-2.jpg)
Mettre toute les pendules à la même heure
Dès le milieu du 19ème siècle le télégraphe électrique a permis la synchronisation des horloges installées dans les stations de chemin de fer disposées le long de ses réseaux. Il a d’abord fallu abandonner l’heure locale, que chacun utilisait, pour adopter une heure commune (en 1891) à défaut d’être universelle (ce qui ne sera qu’en 1911-1912) mais c’est une autre histoire. Cependant, le télégraphe électrique ne pouvait aider ni les marins perdus en mer ni les géographes occupés en Afrique à relever le cours des fleuves ou la position exacte des frontières des nouvelles colonies. Ce n’est qu’à la fin du siècle, quand Marconi et tous les autres expérimentateurs ont rendu utilisable la Télégraphie Sans Fil toute nouvelle, qu’on a pu imaginer transmettre en tout lieu ce que le télégraphe électrique permettait de faire depuis un demi-siècle : l’heure, sous la forme de signaux horaires.
Du fil télégraphique au sans fil
La transmission de l’heure par T.S.F. n’a pas attendu 1910 ; on peut imaginer sans risque de se tromper que les premiers opérateurs radiotélégraphistes civils ou militaires, sur terre ou sur mer, se demandait mutuellement l’heure qu’il était, même si le mot de code « QTR ? » n’existait par encore. On peut déjà lire dans le Bulletin de l'Association Technique Maritime le compte-rendu de la réunion du 6 mai 1903 où un de ses membres très actif, Jacques-Augustin NORMAND, un constructeur naval havrais, développe l'idée d'utiliser la T.S.F. pour diffuser l'heure aux navires.
Au printemps 1904, Guillaume BIGOURDAN astronome à l'Observatoire de Paris et membre de l'Académie des Sciences effectue, avec l'aide de DUCRETET et de ROGER, des expériences concluantes de transmission de tops horaires par T.S.F. On en est encore qu’aux débuts.
Vers 1904-1905, l’astronome allemand Carl Theodor ALBRECHT procède à des essais qui permettent en 1906 la détermination des distances terrestres avec une précision assez bonne.
C’est également en 1906, au printemps, qu’Emile GUYOU, géographe, mathématicien, astronome et membre du Bureau des Longitudes, organise avec le concours d’officiers et d’ingénieurs de la Marine de guerre et de l’Armée une expérience originale pour déterminer la différence de longitude entre Brest et Paris en comparant auditivement, grâce au téléphone et en utilisant la méthode des coïncidences qui sera mise en application en 1910, le décalage de temps entre le chronomètre de Paris et celui de Brest réglé à l’heure solaire locale. L’incertitude sur la mesure du temps est meilleure que 1/100e de seconde.
La Tour entre en scène
Fin 1907, après une enquête qui permet d’établir que les navires de taille moyenne équipés d’une station de T.S.F. peuvent capter correctement les signaux émis par la station de la tour Eiffel jusqu’à plus de 2000 km, Camille TISSOT, professeur à l’École navale et pionnier de la T.S.F., entreprend en collaboration avec le capitaine FERRIÉ une série d’essais de transmission par la station militaire de la tour Eiffel de signaux réguliers qui sont captés et attentivement étudiés par une station de réception installée à bord d’un bâtiment de la Marine de guerre mouillé en rade de Brest. A la lumière de ces expériences, il met au point un récepteur simple qu’il décrit dans une note présentée à l’Académie des sciences en novembre 1908.
Lors de la séance de l'Académie des Sciences du 30 mars 1908, Anatole BOUQUET de la GRYE, ingénieur géographe et académicien, propose la construction à Ténériffe d'une puissante station de T.S.F. équipée d'une antenne gigantesque pour diffuser des signaux horaires au monde entier. En attendant de disposer de tels moyens, il estime que la station de la Tour Eiffel pourrait participer à des essais. Dans son esprit de géographe, l’île se prêterait fort bien au déploiement d’une antenne omnidirective adaptée aux ondes très longues seules capables, pensait-on à l’époque, de couvrir toute la surface de la planète. En fait, le problème de la couverture globale sera résolu à partir de 1912 par l’utilisation de plusieurs stations dispersées dans les cinq continents.
En novembre 1908, le comité restreint de l’Académie des sciences constate que le projet de transmission régulière de signaux horaires par la T.S.F. fait l’unanimité, non seulement chez les marins mais aussi chez les géographes, les astronomes et, bien sûr, chez tous ceux qui ont besoin de remettre leurs pendules à l’heure. Il reste pourtant encore du travail pour mettre en place ce service régulier : il faut d’abord mettre au point la méthode et les appareils qui détermineront les fameux « tops » horaires et surtout disposer d’une station d’émission suffisamment puissante, disponible, fiable, durable et… gratuite. Cette station sera bien sûr celle de la tour Eiffel, quand elle sera un peu moins provisoire.
Notes :
1. L’émetteur d'Allouis, qui ne diffuse plus France Inter OL, continue à fonctionner pour la diffusion de l'heure destinée à la métrologie, aux radars de contrôle de vitesse…
Source : ACHDR - Roland Guillaume F5ZV
Retrouvez nous sur Facebook:
/image%2F2155287%2F20250323%2Fob_035849_10.jpg)