Bonjour,

La suite, on continue sur la partie technique et on découvre la première speakerine de la TV Française.

l'article est paru dans les cahiers de la FNARH 143, fédération d'associations à laquelle appartient l'ACHDR.

Bonne découverte.

LA TÉLÉVISION « DANSEUSE » D’ERNEST CHAMON,

PRÉSIDENT DE LA COMPAGNIE DES COMPTEURS (CDC)

C’est en 1928, qu’Ernest Chamon, fils du fondateur de la Compagnie des Compteurs et président de cette même société, assiste lors d’un voyage à Londres, à une démonstration d’une expérience de télévision dans « le petit local de J. L. Baird, dans Long-Acre Street, d’un appareil à 24 lignes d’analyse verticales, à la fréquence de 12,5 (images) par seconde » [René Barthélemy, conférence à la Société des Ingénieurs Civils de France, p. 2, 1930]. René Barthélemy y assiste aussi, semble-t-il, avec le sous-directeur de la Compagnie Jean Le Duc (à noter que Jacques Poinsignon qui rapporte le fait dans son Histoire de la télévision en France, n’indique pas explicitement la présence de René Barthélemy).

De retour en France, il demande à Jean Le Duc : « Qui en France entreprend des études sur la télévision ? ». « Personne à ma connaissance » lui répondit-il, « Dans ces conditions, créez-moi un service de télévision. » Réponse erronée, on a vu que quelques personnes se préoccupaient de télévision en France à ce moment, mais aux conséquences heureuses. À la remarque que cela coûterait sans doute fort cher, Ernest Chamon répondit : « Nous devons cette contribution à la science. » Plus tard, lors des conseils d’administration où on lui reprochait le coût de ce service, il répondait : « Si j’entretenais une danseuse, vous n’oseriez pas me le faire remarquer, eh bien ! La télévision c’est ma danseuse. » Remarque, qui, bien sûr serait inimaginable aujourd’hui !

Jean Le Duc fait appel à René Barthélemy pour diriger le nouveau laboratoire, celui-ci s’adjoint Dimitri Strelkoff (figure 4). Cette nouvelle activité de la CDC s’installe à Montrouge après des débuts dans le laboratoire de la société Pericaud, une filiale de la CDC.

Fig. 4. – René Barthélemy et Dimitri Strelkoff. Coll. ACHDR et J. Poinsignon.

Les premiers travaux, en septembre 1929, portent sur la question de la synchronisation des images, point faible des dispositifs expérimentés jusqu’alors, mais conduisent rapidement à l’étude des systèmes mécaniques, utilisant des roues à miroirs, des disques de Nipkow, voire des disques à lentilles de Marcel Brillouin qui permettent de concentrer les rayons lumineux.

Cette même année 1929 commence l’étude de l’analyse et de la reconstitution d’une image fixe à 30 lignes, à l’aide d’un disque de 30 trous tournant à 15 tr/sec, déjà équipé d’un système de synchronisation déclenchant le renouvellement d’image.

Au début de 1930, c’est l’analyse et la reproduction de l’image fixe à l’aide d’une roue de Weiller qui est expérimenté.

La roue de Weiller (figure 5) porte à sa circonférence des miroirs, ici 30, chacun ayant une inclinaison différente. Ils renvoient un pinceau lumineux issu d’une lampe fixe, ce qui permet d’explorer successivement un nombre de lignes égales au nombre de miroirs.

Fig. 5. – La roue de Weiller. Revue générale d’électricité, 1939.

D’autres essais sont menés avec des images issues d’un télécinéma utilisant un disque de Nipkow à 30 trous, ce qui oblige à adopter pour la télévision le standard du cinéma de l’époque, format 4/3 et 16 2/3 images par secondes (1 000 tr/min pour la roue). Rien n’empêche d’analyser l’image avec un disque de Nipkow et de reproduire l’image avec un récepteur à roue de Weiller, sous réserve d’avoir autant de trous que de miroirs, la même vitesse de rotation et un parfait synchronisme.

En février 1930, une première démonstration 30 lignes est faite à Montrouge, en particulier, devant le général Ferrié et les frères Lumière. L’idée d’une démonstration publique est émise par Paul Janet, présent aussi, alors directeur de l’École Supérieure d’Électricité (ESE). Tout d’abord réticent, René Barthélemy finit par accepter.

 Cependant, les concurrents ne restent pas inactifs et le 3 novembre 1930 (date trouvée sur internet), l’Olympia « Théâtre Jacques Haïk » (figure 6), 28 boulevard des Capucines (9e), accueille une démonstration publique de télévision système Baird-Natan : sur un écran formé de 1 200 ampoules, on voit le fantaisiste Jean Marsac. La présentation détaillée de l’expérience est donnée en annexe 1.

 

 

Fig. 6. – Prospectus de l’Olympia. Coll. ACHDR et J. Poinsignon.

La démonstration de la CDC a lieu le 14 avril 1931 (figures 7 et 8). Elle était complète. Prise de vue en direct et en télécinéma effectués dans le laboratoire de Montrouge, transmission hertzienne, réception dans le grand amphithéâtre de l’ESE à Malakoff. L’affluence est telle qu’il fallut faire trois séances d’une durée totale de 3 heures.

 

 

 

Fig. 7. – Matériel pour la démonstration du 14 avril 1931. Revue générale d’’électricité, 1939.

Fig. 8. – Schéma de la démonstration de télévision du 14 avril 1931. Revue générale d’’électricité, 1939.

Le succès est total. Tout d’abord après le mot « Paris », on voit apparaître à l’écran un assistant de René Barthélemy : M. Lamblot qui annonce « Messieurs les réglages sont terminés », puis Suzanne Bridoux de la CDC (première speakerine « expérimentale » de la télévision française) confie ses premières impressions et, enfin, on transmet un film muet : L’Espagnol à l’éventail.

Cette démonstration marque, à mon avis, la naissance de la télévision en France.

Il reste bien sûr beaucoup de travail à faire avant d’arriver à un « produit grand public », mais souvenons-nous de ce qu’était le télégraphe électrique, le téléphone et la télégraphie sans fils à leurs débuts, aussi loin d’une technique achevée que pouvait l’être la télévision en ce jour du 14 avril 1931.

Compte tenu de l’importance de cette démonstration, j’estime utile d’en donner les principales caractéristiques techniques. Tout d’abord la prise de vue : le sujet filmé est dans le noir le plus complet et l’analyse de l’image se fait avec la roue de Weiller à 30 miroirs tournant à 1 000 tours par minutes. La lumière réfléchie est captée par des cellules photoélectriques (cellules au potassium) qui à l’époque donnent un courant de 3 à 5 microampères par lumen, qu’il faut bien évidement amplifier avant de l’envoyer dans un émetteur fonctionnant avec une longueur d’onde de 100 m (3 méga Hz) et une puissance de 5 Watt (dans l’antenne précise René Barthélemy). La bande passante utilisée est de 40 kHz, ce qui permet la transmission d’environ 80 points par ligne.

Le télécinéma fonctionne avec un disque à 30 trous tournant lui aussi à 1 000 tours par minutes. À la réception, le signal module la lumière émise par une lampe néon (dite Cratère) (figure 9). Une roue de Weiller permet la reconstitution de l’image sur un verre dépoli.

Fig. 9. – Lampe néon (dite Cratère). Revue générale d’électricité, 1939.

Cette réussite vaut, en août suivant, la Légion d’honneur à René Barthélemy. Les études et les présentations se poursuivent.

En 1932, d'autres acteurs se signalent comme Henri de France, alors âgé de 21 ans, ou Marc Chauvière de la Société Integro, qui commence à vendre un kit permettant le montage d'un téléviseur par un amateur éclairé, mais aussi fabrique une caméra à disque. Plus tard, Henri de France fut à l'origine du SECAM.

La CDC développe une caméra à disque de Nipkow 30 lignes, et commence l’étude d’amélioration donnant 90 et 180 lignes.

Le ministère des PTT s’intéresse à la télévision, il fait réaliser par le Laboratoire National de Radioélectricité des essais comparatifs entre les systèmes Baird, Barthélemy et Henri de France dont la conclusion est : « Il est peut-être intéressant d’entreprendre des essais de télévision, à titre expérimental avec les appareils de M. Barthélemy et, peut-être, plus tard, avec ceux des autres constructeurs lorsqu’ils seront à même de les présenter. » Qu’en termes galants, ces choses-là sont mises !

En décembre 1932, René Barthélemy peut s’installer dans deux pièces de 9 m² chacune, 97 rue de Grenelle (figure 10). Des émissions commencent alors régulièrement, les jeudis de 15 heures à 16 heures. L’image est transmise par un émetteur des PTT (431 m) situé 103 rue de Grenelle et, pour le son, par l’émetteur de Montrouge. Les images sont reçues par des amateurs ayant construit eux-mêmes leur récepteur.

Fig. 10. – René Barthélemy effectuant une prise de vue avec une caméra 30 lignes dans le studio de la rue de Grenelle (1932-1933). Annuaire de la radiodiffusion Nationale, 1934. Coll. ACHDR et J. Poinsignon.

Les études continuent et en avril 1933 début des émissions en 60 lignes, moyenne définition, avec réception sur tube cathodique. Un télécinéma parlant 60 lignes est expérimenté avec une prise de vue à 24 images par seconde.

On commence à étudier le passage à 90 puis 180 lignes, haute définition, toujours en analyse mécanique mais… : « La télévision sera cathodique ou ne sera pas » déclare, en 1934, Alexandre Dauvillier.

Le système, tout électronique, imaginé dès 1907 par Boris Rosing et Alan Campbell-Swinton, resté au stade de projet, peut être réalisé grâce à l’invention du tube kinéscope par Wladimir Zworykin. Amélioré, il deviendra l’iconoscope (figure 11) qui commence à fournir des images acceptables. La CDC commence à fabriquer des tubes cathodiques.

Fig. 11. – Wladimir Zworikyn avec son iconoscope. Coll. ACHDR et J. Poinsignon.

En octobre 1934, la commission du service de la Radiodiffusion décide le maintien des émissions expérimentales à 30 lignes et l’expérimentation des 180 lignes sur 7 m de longueur d’onde.

Fait important, le 8 novembre 1934, Georges Mandel devient ministre des PTT. En mars 1935, il visite les laboratoires de Montrouge et assiste à une démonstration d’images en 60 lignes. Comprenant tout l’intérêt et tout l’avenir de ce qui n’est encore que matériel de laboratoire, il ordonne de réaliser en huit jours, rue de Grenelle, une installation à 60 lignes, émetteur radio compris. Le 26 avril 1935, démarrage officiel, Béatrice Bretty (compagne de Georges Mandel) raconte une tournée de la Comédie-Française.

Le ministre ordonne alors de réaliser en six mois une installation complète à 180 lignes (figure 12). Elle doit comporter une caméra (figure 13) à analyse mécanique, un télécinéma 35 mm analyse à 25 images/sec. La réception se fait sur un poste à tube cathodique.

Le studio se trouve dans l’amphithéâtre de l’école supérieure des PTT rue Barrault. L’émetteur fonctionne sur 8 m et a une puissance de 2,5 kW portée plus tard à 10 kW (Barthélemy en 1950 dit 30 kW), se trouve à la tour Eiffel. La liaison studio émetteur, à faible puissance est assurée par un câble coaxial de 2,5 km de long. La bande passante transmise est de 500 kHz. Le son est transmis par un émetteur onde moyenne de la tour Eiffel. C’est un autre coaxial, appelé « Feeder », qui transporte le puissant signal vers le sommet de la tour.

Fig. 12. – Plaquette de présentation du centre expérimental de Montrouge de la CDC. Coll. ACHDR et J. Poinsignon.

Fig. 13. – Plaquette de présentation du centre expérimental de Montrouge de la CDC. Coll. ACHDR et J. Poinsignon.

À l’inauguration, le 10 novembre 1935, c’est de nouveau Béatrice Bretty qui récite quelques poèmes devant la caméra. Le spectacle est présenté par Suzy Wincker, première speakerine officielle de la télévision d’État. Le 8 décembre se déroule une soirée de gala dont le détail est donné en annexe 2.

Mais l’analyse mécanique a atteint ses limites, l’iconoscope est amélioré. La CDC mène, depuis 1934, des études sur la fabrication des tubes cathodiques et est rapidement capable de fabriquer ses propres iconoscopes. En janvier 1936, une série d’accords d’échanges de brevets « sur un pied d’égalité » est signé entre les firmes RCA (W. Zworykin), CINTEL (J. L. Baird), TELEFUNKEN (Prof. Schöter) et la CDC (René Barthélemy), ce qui accélère études et réalisations.

Toutes ces années vont voir un foisonnement d’expériences dans les plusieurs pays : l’apparition de nouveaux acteurs, l’abandon de la télévision mécanique, l’apparition de la télévision tout électronique, avec un standard haute définition autour de 400 lignes (441 aux USA et en Allemagne, 405 en Angleterre, 450 en France), la construction d’un nouvel émetteur sur 6,5 m au pied de la tour Eiffel, capable de transmettre l’image à 450 puis 455 lignes avec 5 MHz de bande passante.

Puis vient la guerre, tout s’arrête ou presque : l’aventure de la télévision allemande à Paris a été racontée par ailleurs. Mais les guerres sont aussi un puissant accélérateur technologique et assez vite elle réapparait, en 819 lignes, en UHF et avec des liaisons par faisceaux hertziens.

Cette présentation, assez succincte de ce que fut le développement de la télévision en France pendant les années folles, nous ramène à Suzy Wincker.

SUZY WINCKER, PREMIÈRE SPEAKERINE OFFICIELLE DE LA TÉLÉVISION FRANÇAISE

Cette partie est presque entièrement illustrée avec le contenu du dossier de presse que Suzy Wincker avait constitué, sauf quelques illustrations issues de la Revue Générale d’Électricité ou de La Nature. J’ai pris le parti de le présenter tel qu’il m’est parvenu, en conservant les annotations de la main de l’intéressée.

Elle est née à Vanves le 7 mars 1894. C’est une artiste de cabaret, elle débute au Moulin de la chanson, et participe aussi à des revues jusqu’en 1934. Elle est aussi chanteuse d’opérette, joue dans des pièces de théâtre. Elle tourne dans un film et présente des émissions du poste radio colonial.

On a vu plus haut que René Barthélemy, à la fin de 1932 a commencé des émissions régulières de télévision depuis un studio situé rue de Grenelle. C’est dans la revue anglaise World Radio du 12 mars 1937 (figure 14), qu’on apprend, de la bouche de Suzy, elle-même, comment elle est entrée dans le monde télévisuel naissant. Ce qui est aussi rapporté par l’hebdomadaire Vu (figure 15).

Fig. 14. – Article du magazine londonien World Radio du12 mars 1937. Dossier Suzy Wincker.

Fig. 15. – Article de Vu du 1er septembre 1937. Dossier Suzy Wincker.

Passant début 1934 rue de Grenelle, où se trouvait comme on l’a vu, le studio 30 lignes, elle y entre, ayant trouvé l’expérience intéressante et propose ses services gratuitement. Le budget de la télévision étant « very restricted » son offre fut immédiatement acceptée.

À ce moment, les émissions se font en 30 lignes pendant 2 ans à partir de 1932, à raison d’une heure chaque jeudi. En avril 1935, on passe à la « moyenne définition » de 60 lignes, les émissions ont lieu tous les jours dans l’après-midi et quelquefois le soir (La Nature n°2968 du 1er janvier 1936, p. 1). Mais à partir du 10 novembre 1935, date d’inauguration imposée par Georges Mandel, ministre des PTT, les émissions se font en « haute définition » 180 lignes (figure 16). Ce changement de statut changea aussi, semble-t-il, celui de Suzy Wincker, qui, de speakerine bénévole, devint rémunérée.On trouvera plus loin un document qui le confirme.

(Sources Pierre Arcangeli- Société d’Histoire de La Poste et de France Télécom en Basse-Normandie, ACHDR et ARMORHISTEL)

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