Bonjour,

Dans cette première partie de l’article  on fait un retour très intéressant sur le début de la télévision.

l'article est paru dans les cahiers de la FNARH 143, fédération d'associations à laquelle appartient l'ACHDR.

Les news seront séparées de cette série de 3 articles.

C’est au début d’octobre 2020, que j’ai reçu de mon ami de France Télévision, Philippe Dumas, un mystérieux SMS me demandant mon adresse parce qu’il avait quelque chose à me faire parvenir. De fait quelques jours plus tard, le facteur me délivra une enveloppe que j’ouvris sans délai. C’était un dossier d’articles de presse sur Suzy Wincker, dont j’entendais parler pour la première fois : il avait été constitué dans les années 1930 alors qu’elle officiait comme présentatrice dans les studios de « Radio P.T.T. Vision » rue de Grenelle.

Le dossier, constitué d’articles (Haut-Parleur, Vu, Le Petit Radio, Lectures pour Tous, mais aussi de World Radio de Londres, etc.) et de photos originales donne un aperçu d’un aspect peu connu de la naissance de la télévision.

Comment ce dossier est-il venu entre les mains de Philippe Dumas, puis des miennes, d’où il rejoindra bientôt les archives concernant l’histoire de la télévision, déjà conservées par l’ACHDR à Issoudun : c’est tout simplement que Suzy Wincker (1894-1989) l’avait confié à l’infirmière qui s’occupait d’elle ; celle-ci l’a conservé et l’a retrouvé au moment de déménager, l’a transmis à Philippe qui me l’a fait suivre, rien de plus simple et finalement de plus improbable !

La lecture du dossier de presse de Suzy Wincker donne un éclairage qui, aussi intéressant qu’il soit, est tout de même assez anecdotique. Aussi il m’est apparu nécessaire de présenter le contexte très particulier des premières années d’un média qui allait prendre une place considérable dans notre société : la télévision.

Il n’est pas question de narrer l’histoire détaillée de la naissance de la télévision, ce que d’autres bien plus qualifiés que moi ont brillamment fait, voir par exemple :

–   « Une histoire de la télévision en France » de Jacques Poinsignon parue dans les numéros 50 à 62 du Bulletin officiel de l'association : les Radiophiles français, plus de nombreux documents originaux qu’il a rassemblés sur René Barthélemy et la Compagnie des Compteurs ;

–   Une histoire de la télévision, Rêve d’ingénieurs et jouet des politiques par Philippe Lévrier, L’Harmattan, 2018 ;

–   Technogenèse de la télévision, le diable en histoire des machines, Jean Cazenobe, L’Harmattan, 2001.

Au moment où la télévision naît, ses acteurs et les observateurs ont souvent l’occasion de commenter ses progrès, ce qui nous permet de ne pas manquer de matériaux pour suivre sa genèse, citons :

–   la conférence que René Barthélemy prononce en 1950 devant la société des ingénieurs civils de France ;

–   des articles parus dans Les Annales des PTT (dont ceux de René Barthélemy), ou La Lumière électrique et d’autres revues comme La Nature ou la Revue Générale d’Électricité, etc.

C’est principalement dans les documents cités ci-dessus, que je vais puiser les informations me permettant de décrire les premières années de la télévision en France.

Lorsqu’il n’est pas possible de faire autrement, j’utilise Internet, Wikipédia, etc.

La télévision n’est pas un météore qui est apparu brutalement dans notre civilisation, elle est le fruit d’une longue maturation, du travail d’une multitude de physiciens, d’ingénieurs de techniciens, d’industriels qui ont exploré toutes les voies de la connaissance, certains, peu, dans un but mercantile, la majorité pour le savoir, « pour l’honneur de l’esprit humain » aurait pu dire Jean Dieudonné. C’est ce que nous allons voir maintenant.

LA TÉLÉVISION DANS L’ÉVOLUTION DES SYSTÈMES DE COMMUNICATION

Dans l’histoire des diverses civilisations qui se sont développées, le besoin de communiquer est prégnant, et cette affirmation est un lieu commun. Ce que l’on remarque aussi c’est que les moyens mis en œuvre pour communiquer sont à toutes les époques étroitement liés aux niveaux scientifiques et technologiques existants à l’instant donné, ce qui est un second lieu commun. Une fois évoqués les moyens primitifs mis en œuvre dans l’histoire des civilisations, principalement les tours à feu, après que les sciences et techniques aient été gouvernées par la raison, on observe une succession de dispositifs qu’il suffit ici d’énumérer, et qui semblent avoir pour couronnement et, finalité ultime, la transmission à une distance quelconque des images animées en couleurs.

À la télégraphie optique, système Chappe de 1792, succède la télégraphie électrique en 1837-1844 (selon la définition que l’on retient) avec Samuel Morse et Charles Wheatstone.

Les ingénieurs et techniciens vont se saisir de cette technique nouvelle, l’améliorer (David Edward Hughes, Émile Baudot, etc.) mais aussi en sortir et, très vite, apparaissent des systèmes de transmission de dessins, appelés autographiques, depuis Alexander Bain en 1843, avec en particulier le Pantélégraphe de l’abbé Giovanni Caselli (1855) (figure 1) qui fonctionne en conditions réelles, mais dans des conditions commercialement limitées, et de bien d’autres comme l’appareil « automato-autographique » de Bernard Meyer exploité en 1869 entre Paris et Lyon [Pérardel (Claude) sous la direction de, Postes, Télégraphes, Téléphones en France, une chronologie illustrée du xixe siècle, FNARH, Imprimerie Moderne de Bayeux, 2013, p. 250]. Tout cela est prématuré, ce sont des impasses technologiques, au mieux des curiosités. Mais les inventeurs ne se découragent pas facilement, on va en voir des exemples plus loin.

Fig. 1. – Pantélégraphe de Caselli. Merveilles de la Sciences, Louis figuier, T2, 1867, p. 156 et 159.

Ce qui fait que l’on a eu la possibilité de transmettre l’image avant de pouvoir transmettre la voix ! On note la nécessité d’assurer un synchronisme parfait entre l’émetteur et le récepteur, problème difficile qui se pose aussi avec le télégraphe de Hughes, puis de Baudot et ensuite la télévision.

Après l’écrit et l’image fixe, c’est la voix que l’on porte au loin, en 1876 avec Alexander Graham Bell (attention Meucci est le véritable inventeur reconnu par le Sénat américain en 2002). Cette innovation, offrant des possibilités de transmissions nouvelles, donne un nouvel élan à la problématique de la transmission des images fixes et donne lieu pendant 50 ans à de nombreux essais que l’on retrouve, en 1936, regroupés sous le terme générique de Téléphotographie.

Viennent en 1897, les expériences de Guglielmo Marconi, dans la plaine de Salisbury puis sur le canal de Bristol, qui marquent la naissance de la télégraphie sans fil.

Le cinéma lui-même, né vers 1895, remplaçant les « lanternes magiques » après le Kinétoscope d’Edison (1890) démontre que l’illusion du continu des images, peut s’obtenir à partir d’une suite discontinue d’images fixes en nombre suffisant, grâce à la persistance rétinienne.

C’est pendant l’Exposition universelle de 1900 à Paris, que le terme de Télévision apparaît pour la première fois, à l’occasion du congrès d’électricité qui se tient du 18 au 25 août. Constantin Perskyi, auteur d’une communication dont le titre est : « Télévision au moyen de l’électricité » (figure 2), y donne une description des moyens à mettre en œuvre pour réaliser la télévision par exemple en utilisant une propriété de certains matériaux tel le sélénium dont la résistivité varie lorsqu’ils sont éclairés.

Parmi les savants ayant abordé la question, il cite, Paul Nipkoff, Kachmetieff, Jan Szczepanik, Scheffer et Poloumordvinov. Mais il reste au niveau des principes.

Fig. 2. – Annexe du compte rendu congrès des électriciens, 1900, Paris, par l’Hospitalier, p. 54. CNAM.

Des noms cités, on connaît Paul Nipkoff et son disque tournant mis au point en 1884 qui permet l’analyse mécanique d’une image. Les dispositifs de télévision utilisant un disque de Nipkoff s’appellent la télévision mécanique bien qu’elle utilise beaucoup de tubes électroniques, c’est l’analyse de l’image qui est mécanique !

On connaît aussi Jan Szczepanik et son Télectroscope, nom générique forgé en 1878 par Louis Figuier, qui désigne ainsi des appareils plus ou moins imaginaires de transmission d’images animées, dont certains ont tout de même donné lieu à des brevets. Il disparaît lorsque le terme de Télévision apparaît en 1900. À cette date, le terme existe, le concept aussi, mais pas l’objet.

Ce qui préoccupe, à ce moment, depuis plusieurs années, les techniciens des télécommunications, terme qu’on peut utiliser depuis 1904 après qu’Édouard Estaunié l’ait forgé, c’est la transmission des images par l’électricité. On a indiqué plus haut que les années 1840 voient la naissance des projets de télégraphes autographiques, sans lendemain. Reprenant la disposition des cylindres et stylets issue du phonographe, apparaissent le téléautograveur d’Henri Carbonelle, le téléstéréographe d’Édouard Belin, le phototélégraphe de Berjonneau, le téléphotographe de Senlec-Tival et surtout l’appareil d’Arthur Korn qui entre en service en 1907 au journal L’Illustration, il y sera remplacé par le Téléstéréographe plus connu sous le nom de Bélinographe d’ Édouard Belin [Cazenobe (Jean), Technogenèse de la télévision : le diable en histoire des machines, L'Harmattan, 2001, p. 93].

Tous ces dispositifs sont améliorés en permanence et on trouve dans Les Annales des PTT, année 1927, un article d’origine allemande, décrivant une dizaine de dispositifs différents, en exploitation commerciale dans les réseaux européens et américain de téléphonie, dont certains comme le bélinographe étaient exploités sans fils ! Dans la même revue, l’article suivant écrit par Georges Valensi, ingénieur en chef des Postes et Télégraphes, s’intitule : « L’état actuel du problème de la télévision ».

Comme le terme disque de Nipkow va revenir assez régulièrement, il me semble utile de donner quelques explications à son sujet. Il apparaît vers 1884.

Il s’agit d’un disque percé de trous (30, 60 et plus) (figure 3). Les trous sont placés sur une spirale d’Archimède. Un moteur entraîne le disque.

Le disque est placé entre le dispositif de conversion de lumière d’intensité variable en électricité (par une cellule photo-électrique) et l’objet à filmer qui est fortement éclairé, les cellules primitives ayant un faible taux de conversion lumière/électricité.

Chaque trou permet d’explorer une ligne du sujet, il y a donc autant de lignes de définitions que de trous ; la largeur de l’image correspond à la distance entre deux trous consécutifs, sa hauteur à la différence de rayon entre le premier et le dernier trou. Le rapport largeur hauteur est 4/3.

Fig. 3. – Hémardinquer (P.), « Les progrès de la télévision en France », La Nature, juin 1935. CNAM.

René Barthélemy, dont le rôle dans le développement de la télévision en France est fondamental, déclare lors d’une conférence tenue le 5 juin 1930 à la société des amis de la TSF : « Quand on cherche à se documenter sur ce qui a été fait en télévision, on a très vite l’impression qu’on a tout inventé et que seuls quelques éléments matériels ont manqué aux inventeurs, il y a 50 ans, pour transformer leurs projets en appareils réalisés. » Boutade ? Pas forcément ! Il ajoutait d’ailleurs : « On ressent même une sorte de découragement en pensant qu’on suivra des sentiers maintes fois battus ; ensuite, on reprend espoir avec cette réflexion évidente " si tout avait été inventé, il y a déjà quelques années que nous aurions vu des applications réellement au point " » (L’Onde électrique, T. 10, 1931, p. 6).

Si on examine les éléments nécessaires pour s’atteler à la tâche de mettre au point la télévision et qu’on détermine la première date d’apparition non pas de l’objet achevé mais de ce qu’on peut appeler son ou ses précurseurs, on trouve :

–   le tube d’Heinrich Gessler (1857), précurseur du tube cathodique ;

–   le sélénium découvert en 1817, dont la photoconductibilité est mise en évidence par A. G. Adams en 1876 : sa résistance varie suivant l’éclairage auquel il est soumis. Il permet un montage électrique, dans lequel l’intensité du courant dépend de l’intensité lumineuse. À noter qu’il est cité dans la communication de Constantin Perskyi. Il est utilisé par Korn dans son photo-télégraphe ;

–   l’effet dit Edison, effet thermoïonique, dans ce qui sera appelé plus tard une diode, et qui constitue le début de toute l’aventure des tubes à vide et donc de l’électronique, même si à ce moment personne ne s’en est douté et d’ailleurs ne pouvait s’en douter !

–   le disque de Nipkow, 1884, mais aussi la roue de Lazare Weiller en 1889 qui permettent l’analyse de l’image ;

–   enfin, les ondes électromagnétiques, qui n’avaient pas encore été mises en évidence, ce sera fait par Heinrich Hertz en 1888, mais qui étaient bien présentes et depuis fort longtemps.

Tous ces objets techniques, et leurs successeurs, apparaissaient à René Barthélemy comme des jalons sur le chemin qui a mené à la télévision, mais pour cela il fallait que la télévision existe : « un précurseur c’est quelqu’un [ou quelque chose] dont on sait après qu’il est venu avant » (auteur inconnu).

Un des principaux obstacles est la transmission hertzienne. Le développement de la TSF s’est fait, avant 1920, en utilisant les ondes longues, parfaitement adaptées au transport de la télégraphie et de la téléphonie mais inapte au transport des images animées. Rappelons que lorsqu’on utilise des systèmes à courant porteur où l’onde émise est modulée par le signal à transmettre, ce qui sera le cas en télévision, il faut que la fréquence de l’onde modulée soit au moins dix fois plus élevée que celle de l’onde modulatrice (Annales des PTT, 1927, p. 1048). Ce qui pour les systèmes de télévision expérimentés (30 lignes) à ce moment correspond à environ 3 MHz soit une longueur d’onde de 100 m, limite entre les ondes moyennes et les ondes courtes. En fait, les premières expérimentations utiliseront les ondes moyennes 210 ou 447 m (Une histoire de la télévision, p. 44). Les ondes courtes sont maîtrisées par les radioélectriciens à partir des années 1925 et constamment améliorées depuis, ce qui permettra la diffusion hertzienne d’une télévision « haute définition ».

Comme l’écrit en 1939 René Barthélemy dans sa présentation, dans la Revue Générale d’électricité, du centre de Montrouge de la Compagnie des Compteurs : « À ce moment [milieu des années 20], nous avions évidemment, comme tout technicien de la radioélectricité, ébauché sur le papier quelques systèmes d’analyse et de modulation, mais sans entreprendre l’expérimentation. »

Revenons à l’article des Annales des PTT cité plus haut. On y trouve une liste, sans doute incomplète mais déjà suggestive des travaux entrepris dans quelques pays en 1927 dont voici quelques éléments succincts :

–   en Allemagne, la préoccupation principale est la téléphotographie, pas encore la télévision, mais cela viendra vite ;

–   aux États-Unis, les principales expériences sont le fait de la General Electric Company et celles du Bell System. Les premiers utilisent en réception des oscillographes (au nombre de sept). Le système Bell, expérimenté en mai 1927 utilise un disque de Nipkow ;

–   en Grande-Bretagne, John Logie Baird réalise des expériences depuis juin 1926. Il utilise aussi en émission et réception un disque de Nipkow. Ceci pour les acteurs étrangers principaux présents dans les sources documentaires ;

–   en France, on trouve, utilisant un tube cathodique en réception et un dispositif mécanique en émission ou le disque de Nipkow en émission et réception, des dispositifs expérimentaux dus à Alexandre Dauvillier, Édouard Belin et Fernand Holweck et Georges Valensi (Annales des PTT, 1927, p. 1058 à 1067). Les expérimentations portent simultanément sur la prise de vue directe et sur le télécinéma où l’image est fournie par la projection d’un film.

On peut remarquer que toutes ces expérimentations, toutes antérieures à 1927, explorent les trois voies possibles pour expérimenter la télévision (décrites dans un article d’Alexandre Dauvillier publié en janvier 1928 dans la Revue d’électricité médicale) :

(A)       Procédés purement mécaniques (transmission et réception) ;

(B)       Procédés mécaniques à la transmission et statiques à la réception ;

(C)       Procédés purement statiques.

Tout ceci nous amène en 1928, et l’entrée en scène, en France de René Barthélemy et de la Compagnie des Compteurs. Ce qui nous permet d’examiner comment ces trois voies ont été mises en œuvre en France.

(Sources Pierre Arcangeli- Société d’Histoire de La Poste et de France Télécom en Basse-Normandie, ACHDR et ARMORHISTEL)

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